Rondo en ré mineur Wq 61/4 (H290)
Arrangement pour quintette à vent (2004)
(Flûte en sol, cor anglais, clarinette en la, cor et basson)
Durée : env. 4’30. Éditions François Dhalmann (mention obligatoire sur le programme)
Et pourquoi C.Ph.E. BACH ? (1714 - 1788)
Car en ce début du 21ème siècle il nous faut un remède au « politiquement correct », à la bêtise, aux pisses-froid qui voudraient nous faire vivre une vie dénuée de fantaisie, de poésie, de sensibilité, d’imagination, de liberté…
Que ce 2ème fils de Jean-Sébastien (le plus célèbre et à mon sens le plus doué des quatre devenus musiciens), ayant pour parrain le génial inventeur du style classique Georg Philipp Telemann, soit le fondateur de ce qu’on appelle l’Empfindsamkeit - influençant de façon notable Haydn et Mozart - cela mérite que soit reconsidéré aujourd’hui la véritable portée de son style musical et de son œuvre.
Quand ce claveciniste officiel de Frédéric II à la cour de Postdam pouvait « suivre sans vergogne sa muse et ne s’inquiéter en rien des difficultés pratiques de l’exécution », il écrivait alors un style d’écriture pour clavier absolument neuf et original, une musique « vive, spirituelle, aux idées hardies, d’une grande diversité et originalité dans les formes et les modulations » dixit ses contemporains les plus bienveillants. Les autres ne verront que « manière capricieuse, coupures inattendues, modulations fantaisistes et style souvent très naïf mêlé à une affectation de science profonde » et fustigerons aussi « son goût excentrique, sa bizarrerie, son culte de la difficulté, son écriture singulière et son refus de se plier à la mode ».
Effectivement ce compositeur - « monstrueux et manquant de compétence » selon les termes des oreilles malveillantes de l’époque - a pour fondement de son écriture une distance volontaire vis-à-vis du dogme d’unité sur le plan de l’affect. Ce dogme imposait pour chaque pièce et mouvement d’une œuvre, un même état d’âme. Partant de ses improvisations au clavicorde, Carl Philipp Emmanuel Bach préconisait un mode d’écriture qui fait apparaître chaque tournure comme le fruit d’une inspiration subite, plutôt que comme conséquence d’un état d’esprit prédéterminé. Une forme n’est alors « ni bonne ni mauvaise et la valeur d’une pièce ne vaut que pour elle-même ».
« Le musicien ne peut toucher le cœur d’autrui s’il n’a été touché lui-même ; on doit revêtir à chaque mesure un sentiment différent » énonçait ce compositeur.
Ce style « sensible » exprime des états affectifs profondément ressentis. La musique en est toujours violente, virtuose, souvent d’allure incohérente, toujours surprenante. L’imprévu prend le pas sur l’intégrité de l’ensemble : des changements abrupts de nuances, de tons, de rythmes deviennent la règle. Les carrures sont très souvent irrégulières, la forme, mélange d’éléments de forme sonate et de fragments de fantaisie libre, est un agencement d’une multitude de motifs contrastants, aucun développé, certains non repris. Le silence devient un élément à part entière de la composition concourant ainsi à une musique d’une grande finesse et subtilité émotive dotée d’une forte expression, soulignée par des termes d’expression ajoutés aux indications de tempi.
Les Rondos et sonates pour clavier (entendre ici le clavicorde)
Le Rondo était pour ce compositeur la forme populaire par excellence (divertissement très en vogue) mais aussi le champ d’expérimentation dans le domaine de la variation. Celui-ci les écrivait pour les « amateurs », ces grands mélomanes qui appréciaient ces pièces sans difficultés exagérées, mais qui ne manquaient pas pour autant de contenu.
En arrangeant pour quintette à vent un de ses Rondos dont le tempo est Allegro di molto - c’est-à-dire avec une joie vive (opposée à modéré et passionné) - j’ai voulu par-delà les siècles rendre un hommage à un compositeur dont le style d’écriture est proche du mien : forme à la façon d’un collage, mêlant des éléments (motifs/figures) disparates, faite de fragments et traces d’autres musiques (ou d’autres formes musicales).
J’aime y lire une source indirecte de mon propre style musical, fait de plis et relis, de spirales, de contrastes, de correspondances secrètes…
La joie qui émane de cette manière de faire était une façon de s’opposer alors, d’une part au style de son propre père Jean-Sébastien - qui disait en retour que la musique de son fils était du bleu de Prusse, couleur qui passe avec le temps…- ainsi qu’à l’aménité polie du style galant que parfaisait à l’époque le benjamin de la famille, Jean-Chrétien Bach.
Décidément, C.Ph.E. Bach est bien actuel !
Bernard de Vienne
Août 2004
Sources musicologiques
C.P.E. Bach : autobiographie
Ulrike Brenning
Clive Bennett